Ma guitare a plus de deux fois mon âge. Mon père l'acheta jadis pour son plaisir, avant de la prêter à son premier fils. Me voilà désormais en possession de cet instrument fatigué.
Je n'aime pas l'allure de ma guitare. Avec les chocs qu'elle a subis, son vernis écaillé et sa fêlure, elle ne reflète que trop ma propre apparence délabrée.
Je n'aime pas non plus la forme de ma guitare. Elle est comme toutes les guitares — à part son manche tordu —, mais mon corps trop maigre et mes bras trop chétifs peinent à la manier correctement. Je parais plus frêle encore que je ne le suis déjà lorsque je me saisis d'elle.
Je n'aime guère plus le son de ma guitare. Les cordes sont trop espacées du manche, et se détendent après quelques accords. On ne peut plus vraiment l'accorder.
Je n'aime même pas jouer avec ma guitare. Je n'ai jamais pris de cours pour m'en servir, et les accords que je produis ne sont que disgracieuses offenses à l'ouïe.
Malgré tout cela, j'aime ma guitare.
Elle est la seule que je puisse serrer dans mes bras.